À la fin de sa vie, couronné de succès, Eugène Boudin (1824-1898) s’aventure vers des voies nouvelles, revendiquant de « laisser à [sa] peinture […] l’aspect de l’esquisse ». Barques et estacade appartient à la série des dernières œuvres de Boudin et, parmi celles-ci, à un ensemble plus radical qui nous entraîne vers une certaine forme d’abstraction où, délaissant le sujet, la peinture ne vit que du dynamisme de la touche, des tons et des valeurs.
Très proche de toute une série d’œuvres exécutées à Trouville et Deauville, entre 1894 et 1897, Barques et estacade est, lui aussi, peut-être aussi réalisé à Trouville. Toutefois, l’identification formelle du site est difficile. Dans les vues prises à Trouville, Boudin aime à se placer au fond du chenal, face à l’entrée du port, de sorte que le paysage est souvent encadré, à gauche et à droite, par les deux jetées que l’on ne retrouve pas dans notre œuvre. Une seule jetée ferme pratiquement tout l’horizon. Il s’agit bien, toutefois, d’un de ces modestes ports de pêche normands. Les petits bateaux de pêcheurs au premier plan en témoignent, tout comme le détail de la barque ramenant à quai les pêcheurs.
Ce spectacle maintes fois interprété par Boudin est ici prétexte à une composition rapidement enlevée où ciel et mer, peints dans les mêmes tons de bleu, lilas, rose et blanc, se confondent. Seuls les effets des voiles dans l’eau, sortes de hachures étirées en peinture vert bronze, confèrent un rythme horizontal à l’eau calme du bassin, en opposition au ciel mouvementé, « pommelé » de nuages. Les voilures, traitées en aplats de couleur, scandent la composition et lient l’espace à la mer. L’ensemble baigne dans une même lumière rosée et transparente. Boudin « saisit le mouvement des choses en même temps que leur forme et leurs couleurs : le nuage qui monte, l’eau qui miroite, la voile éclatante dans le soleil, la barque qui passe, et il écrit la synthèse des éléments et des êtres en action ».
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