Degas réalise, vers 1875, le portrait de Berthe-Marie Bachoux, femme de Jean-Baptiste Jeantaud, qui fut le compagnon d'arme du peintre pendant la guerre de 1870. C'est elle qui a légué en 1929 un autre tableau de Degas conservé par le musée d'Orsay, Jeantaud, Linet, Lainé (1871), où son mari est représenté en compagnie de deux amis.
Le réalisme familier et confortable de cette peinture est caractéristique des portraits des années 1870, mais la composition est tout à fait originale. En effet, présenté presque à profil perdu, le modèle apparaît de trois quart, et semble jeter un coup d'oeil à son miroir avant de sortir. Son reflet fait donc face au spectateur et semble le regarder. Il est ainsi placé au coeur d'un complexe jeu de regards qui va de Berthe-Marie au spectateur, en passant par le miroir. Celui-ci, symbolisant le virtuel et l'illusion, rompt la traditionnelle perspective en profondeur. Central dans la composition et dans la dynamique qu'il instaure, le reflet est hâtivement esquissé en noir alors que le modèle lui-même est détaillé avec plus de précision dans une matière plus travaillée.
Alors que les peintres académiques s'appliquent à rendre surtout les costumes, comme l'a fait le très officiel Henner quand il a peint le portrait représentant Madame Jeantaud, mais surtout sa robe, Degas transforme le genre avec cette effigie si originale et vivante. Lieu de transition entre la peinture réaliste qui imite le réel et la peinture synthétique qui donne à voir une autre réalité, ce tableau initie les recherches de Degas qui tendent à démultiplier les points de vue sur un même objet, une démarche qui semble annoncer les portraits cubistes de Braque et de Picasso.
Source : Musée d'Orsay |