Cette sculpture, que son exposition spectaculaire au musée du Louvre a rendue célèbre, est le dernier des chefs-d'œuvre auxquels a donné lieu, dans l'art grec, le thème de Nikè. Nikè, est une jeune femme ailée personnifiant la victoire, le plus souvent représentée sur le point d'atterrir pour apporter au vainqueur d'une bataille ou d'une épreuve la couronne symbolique. Depuis la Nikè d'Archermos (vers 550 av. J.-C.), ces figures aériennes et souveraines, le plus souvent dressées dans le ciel grâce à un support haut et étroit, ont constitué pour les sculpteurs marbriers la gageure suprême. Elles supposent en effet la négation, à force de virtuosité inspirée, de la pesanteur inhérente au matériau. Le vent qui les entoure et que brassent des ailes dont on croit entendre le battement suggère la quatrième dimension où elles se meuvent. L'imaginaire exalté donne à ces figures une intensité sans égale.
Lorsque Charles Champoiseau, jeune vice-consul de France à Philippopolis, dans l'actuelle Bulgarie, découvre Samothrace, en septembre 1862, cette île escarpée, isolée dans le nord de la mer Égée, est à peine explorée. Les fouilles qu'il effectue au printemps suivant dans le sanctuaire des Grands Dieux culminent le 15 avril : « Je viens de trouver, en fouillant, une statue de la Victoire ailée (selon toute apparence), en marbre et de proportions colossales, écrit-il à l'ambassadeur de France à Constantinople. Par malheur, je n'ai ni la tête, ni les bras, à moins que je ne trouve des morceaux en fouillant aux alentours. Le reste, c'est-à-dire toute la partie comprise entre le bas des seins et les pieds (2,10 mètres), est presque intact et traité avec un art que je n'ai jamais vu surpassé. » Ce torse sera exposé seul dans la salle des Caryatides du Louvre, dès 1866. Champoiseau, fort des observations faites par les archéologues de l'expédition autrichienne menée en 1873 et 1875, reviendra en août 1879 enlever les blocs du socle de la statue, qui figurent une proue de navire.
La reconstitution du monument, réalisée par Félix Ravaisson-Mollien en intégrant plus d'une centaine de fragments, restitue une partie du buste et l'aile droite ; elle est placée au sommet de l'escalier Daru durant l'été de 1883. Lors d'une modernisation des lieux, en 1933-1934, la statue est surélevée par l'adjonction d'un bloc moderne, qui permet de mieux la voir d'en bas. En 1950, une fouille complémentaire conduit à la découverte de la main droite, qui entre au Louvre par le biais d'un échange. Le monument, haut de 3,28 mètres, était à l'origine présenté de trois quarts sur sa gauche, la proue orientée au nord, dans un bassin figurant la mer. Le marbre gris de Lartos (Rhodes), dont sont faits le socle et la proue, suggère que cette offrande remarquable a été consacrée par Rhodes, dans ce sanctuaire de divinités protectrices des marins, peut-être pour commémorer ses victoires navales de 191-190 avant J.-C. Son auteur, inconnu, a su retrouver les formules de haute virtuosité du maniérisme attique de la fin du Ve siècle.
Source : Encyclopédie Universalis
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